mardi 11 novembre 2025

11 novembre 1918

 Extrait du tome 1 de "Les Poilus de Limay"

Georges Bihoret :

À Limay, après la mobilisation générale, la vie s’organise. Il n’y a plus que Georges Louis pour aider Adrien et sa famille. Il est devenu un homme ; ses yeux marron et ses cheveux châtain foncé pourraient lui donner l’air sérieux s’il n’avait pas le nez busqué et des fossettes au menton. Le seul point positif de la situation est que les gars vont bientôt revenir, ils ne vont faire qu’une bouchée de ces Allemands. Georges est né en 1896, la guerre sera terminée lorsqu’il aura l’âge du service militaire…

Mais Georges et son père se trompent. Plus rien n’est comme avant et Georges est appelé avant ses 20 ans ; c’est ainsi que, le 12 avril 1915, il rejoint le 46ᵉ régiment d’infanterie d’où il passera, le 07 septembre 1916, au 415ᵉ.

Georges est empli de la fougue propre à sa jeunesse, il combat avec entrain… Il se distingue et est cité à l’ordre de la brigade le 31 octobre 1917 : « Jeune soldat d’un grand courage s’est toujours fait remarquer par sa belle attitude au feu et notamment le 1ᵉʳ octobre 1917 où lors d’une attaque allemande il se porta en avant avec le plus bel entrain. A participé aux affaires de Mont-Haut et de Verdun. » Georges est décoré de la Croix de guerre avec étoile de bronze.

Le 23 mars 1918, Georges et tous les hommes de son régiment sont embarqués en autos et conduits vers la Somme. À peine arrivés, ils sont mis à contribution. Il faut dire que la situation est tendue. Les hommes de la 133ᵉ division d’infanterie, aux côtés d’éléments britanniques, depuis de trop nombreux jours, disputent âprement le terrain à l’ennemi qui ne veut pas le lâcher. Une partie du 415ᵉ est chargée de reprendre le village de Plessier-Rozainvillers[1] pendant que le 1er bataillon arrête net l’ennemi qui poursuivait le 32e bataillon de chasseurs lors de son repli sur l’Avre. Puis, du 30 mars au 02 avril, le 415e régiment d’infanterie, retranché sur la rive gauche du fleuve, repousse chaque jour les attaques dont certaines sont très violentes.

Le 26 juillet 1918, Georges est blessé par balle à la main droite.

Ce n’est que fin octobre 1918 que Georges et ses compagnons peuvent se reposer pendant huit jours avant d’être rappelés sur le secteur du nord de Vouziers[2] avec pour mission de franchir le canal des Ardennes sur lequel l’ennemi s’accroche. La 163ᵉ division d’infanterie dont le 415ᵉ régiment d’infanterie est un élément, fait partie de la IVe armée –  sous le commandement du général Gouraud –  depuis le 29 octobre. Georges et ses compagnons vont avancer avec une telle détermination que partout sur leur passage, l’ennemi va lâcher le terrain… ils vont réaliser une magnifique avancée de douze kilomètres rien que dans la journée du 6 novembre. Malgré la résistance ennemie, la progression se poursuit les deux jours suivants et les hommes atteignent la Meuse, au nord de Dom-le-Mesnil, dans la soirée du 08 novembre. Ils regardent la Meuse qui gronde, enflée des eaux de pluie qui sont particulièrement importantes en ce froid automne ; plus un pont n’enjambe le fleuve qui semble infranchissable… et puis des bruits courent parmi les soldats épuisés… le mot armistice est de plus en plus souvent prononcé…

Pourtant, rien n’est décidé encore et les ordres sont formels, il faut rester en contact avec l’ennemi et passer la farouche rivière ; il faut marquer l’esprit de l’ennemi qui se pense à l’abri sur la rive opposée, le désorganiser et lui saper le moral pour qu’il n’hésite plus à signer l’armistice.

Dans le plus grand silence possible, dans la nuit du 09 au 10 novembre, Georges et tous les autres s’affairent. L’obscurité et le froid brouillard qui règne permettent de jeter aussi discrètement que possible des planches sur ce qui reste du barrage détruit pour improviser une passerelle. Le 415e passe ainsi, sur le point de franchissement qui lui a été assigné, tout entier mais malheureusement, il n’en est pas de même, un peu plus loin, pour le 142e régiment d’infanterie qui se retrouve bientôt incapable de progresser tout comme le régiment qui devait passer à un autre point.

Lorsque le brouillard se lève au milieu de la matinée, les Allemands ouvrent un feu permanent sur les différents points de franchissement qui avaient été préparés empêchant toute traversée aux deux régiments en retard mais aussi… rendant impossible un repli par le 415ᵉ dont les trois bataillons se trouvent alors face à un ennemi fort de cinq régiments armés de mitrailleuses lourdes et dotés d’une puissante artillerie qui entre en action avant que les tirs allemands de mitrailleuses se déchaînent contre le 415e qui doit se replier et trouver refuge devant la voie ferrée qui se trouve là… la situation est critique et une compagnie se retrouve réduite à une poignée d’hommes… L’enfer dure jusqu’à ce que, vers 18 heures, la nuit tombe apportant avec elle une certaine accalmie dont les désespérés survivants du 415e profitent pour se regrouper.

Le lendemain, 11 novembre, la 163ᵉ division d’infanterie doit absolument garder le contact avec l’ennemi et améliorer les points de franchissement et des renforts sont attendus mais rien ne se passe comme prévu et le ravitaillement est loin d’être optimum. La journée risque d’être particulièrement éprouvante pour le 415ᵉ qui se retrouve, une fois de plus, sous le feu nourri de l’ennemi… jusqu’au moment où, surpassant le vacarme infernal des armes, le clairon retentit, c’est l’armistice qui vient d’être sonné, nous sommes le 11 novembre 1918 et il est 11 heures !

Durant ces derniers jours de lutte, à la fin de cette ultime bataille de Vrigne-Meuse, 52 hommes du 415e régiment d’infanterie ont été tués et 93 blessés. Georges Louis Bihoret fait partie des survivants. Il sera cité à l’ordre du régiment : « Très bon agent de liaison. À toujours accompli avec courage les missions qui lui ont été confiées en donnant l’exemple à ses camarades du 02 au 11 novembre 1918. »

Le 415e régiment d’infanterie a été cité à l’ordre de la IVe armée le 04 août 1918 et a reçu le grand honneur de porter la fourragère aux couleurs de la Croix de guerre.

À Vrigne-Meuse, à la côte 249 au signal de l’Épine, un mémorial à la mémoire de la 163e division d’infanterie –  d’où l’on peut voir le fleuve et la voie ferrée Sedan-Mézières où Georges et ses compagnons ont vécu l’ultime combat de la Grande Guerre –  sera inauguré en avril 1929.

Lorsque Georges rentre chez lui, à Limay dans les Yvelines, sait-il qu’aucune nouvelle d’Albert n’est parvenue jusqu’à leurs parents ? Quelles sont les informations qui ont été communiquées à la famille ? Un avis du ministère du 12 novembre 1914 fixe la date du décès d’Albert Théodore Désiré Bihoret au 06 septembre 1914 mais il faudra attendre le 26 février 1920 pour que le tribunal de Mantes sur Seine[3] rende son jugement et qu’il fixe le décès au 05 septembre 1914 ; cette décision ne sera transcrite que le 08 mars 1920 sur les registres de la mairie de Limay. Il y a une petite erreur sur la date du décès qui est bien probablement le 06 septembre plutôt que le 05.

Le nom d’Albert, Mort pour la France, est gravé sur le monument aux Morts, inauguré le 16 octobre 1921, et sur la plaque commémorative de l’église Saint-Aubin ainsi que sur une tombe du cimetière de Limay.

Catherine Livet 



[1] Le village recevra la Croix de Guerre en novembre 1920

[2] Dans les Ardennes

[3] Mantes-la-Jolie dans les Yvelines

Crédit photo :  : Fonds des albums Valois, collection la Contemporaine – Meurthe-et-Moselle – Nancy. Hôpital. Blessure par balle allemande – Cote VAL 136/183 – Non datée – N° d’inventaire de la section photographique de l’armée 150367 – Source/Opérateur Cl. Bapst (Contretype 5854) – Licence ouverte/Open licence

Les Poilus de Limay  

 

samedi 20 septembre 2025

Journées du patrimoine 2025

 Les journées du patrimoine 2025 sont axées sur le patrimoine architectural.

Je vous présente une photo — pas idéale parce qu'il pleut vraiment beaucoup en ce 20 septembre 2025 — de la façade de la maison dans laquelle je vis depuis une trentaine d'années. Nous sommes à Limay, dans les Yvelines.

 

La particularité architecturale de cette région est l'alignement des maisons sur le trottoir, la vie se déroule, cachée, derrière ces façades un peu austères, protégée par les murs qui séparent chaque propriété. Au-dessus du porche, se trouvait le grenier à grain ; aujourd'hui, j'ai installé une salle de bains et mon bureau et un accès aux combles qui étaient la salle de jeux de mes fils lorsqu'ils étaient enfants et qui sont maintenant redevenus un grenier.

Toutes ces maisons étaient des fermes, groupées au centre-ville, elles possédaient toutes des granges. La mienne est bien plus vaste que les bâtiments d'habitation. Elle culmine à 12,5 m de hauteur au faitage.
Région viticole, tous les bâtiments ont été élevés sur caves voutées, comme on peut l'apercevoir sur la photo de l'aperçu de ma grange. J'en ai deux : une sous la maison, l'autre sous la grange. Derrière la grange, j'ai un jardin, entièrement entouré de murs en pierre. La configuration n'est pas toujours la même, la grange est de temps en temps sur un côté de la propriété.


 

Si le matériel agricole et, parfois, les animaux, étaient stockés à l'intérieur des murs des fermes, les champs étaient en périphéries. Un abreuvoir, aujourd'hui disparu, se situait à l'entrée de la rue. Monsieur Belhomme, qui habitait rue de la Faïencerie, a été le dernier à faire boire ces bêtes à cet abreuvoir.

Malheureusement, bien que le secteur soit sous la protection des Monuments historiques, certaines maisons sont abattues et remplacées par des constructions sans âme. 


Cette maison, qui ne répondait déjà pas vraiment aux normes du quartier, a été surélevée et des volets en plastique ont été posés lors du confinement du Covid en 2020, au mépris des directives des Monuments historiques.

Rue de la Faïencerie à Limay (78) en sept. 2025
      
Rue de la Faïencerie à Limay (78) au 20ᵉ siècle   
Seules la deuxième maison sur la gauche et les trois suivantes — dont la mienne qui est celle derrière le lampadaire —, bien que rénovées et mises au goût du jour, sont restées conformes à leurs origines. Les constructions sur la droite (en regardant la photo) ont été abattues, dans la partie basse ; on retrouve des anciennes fermes un peu plus haut dans la rue.

Catherine Livet
 
Les journées du patrimoine 2025 

Les Poilus de Limay

 

 

vendredi 30 mai 2025

Limay sous les bombardements

L'aviation alliée a commencé à obscurcir le ciel de la région et à déverser ses projectiles meurtriers, le jeudi 20 avril 1944. Les bombardements vont se succéder jusqu'au 13 août 1944. 

Le 10 mai 1944, Limay a eu à déplorer sa première victime. Ce jour-là, les ponts des voies ferroviaires étaient visés. Malheureusement, Pierre Questel, maraîcher de Limay, travaillait au lieu dit "Les Valleyris" lorsqu'une bombe a été larguée sur le secteur, ne lui laissant aucune chance... La mention Mort pour la France lui sera accordée.

Les Alliés préparent le Débarquement, il faut absolument détruire les voies de communication... Le dimanche de Pentecôte 28 mai 1944, les bombes sont larguées sur les ponts et autres infrastructures. Lorsque le pont d'Argenteuil est visé, des bombes, un peu perdues, vers 16 heures, viennent tuer, au numéro 49 du boulevard Langlois, et causer des dégâts matériels à la Roseraie. Les victimes du 28 mai recevront la mention Mort pour la France. Cependant, le pont de Mantes, bien que ses abords aient été très touchés, restent debout... cela ne présage rien de bon...
Deux jours plus tard, sous un ciel radieux, l'alerte est, une fois de plus, donnée. Ce 30 juin 1944, vers 11 h 30, un vrombissement terrible, suivi du bruit d'explosions invraisemblables glacent le sang des habitants restés à Limay. Le pont de Mantes est enfin atteint ! Il semblerait qu'un nuage de poussière aie masqué la destruction du pont et une autre vague de bombardier va survoler la zone, larguer ses projectiles et ravager une grande partie du centre-ville de Mantes. Ce n'est pas encore la fin... une troisième vague surgit... c'est sans doute le pont de Limay qui est visé, mais c'est le centre-ville qui a été touché ; tout ce qui se trouvait entre la rue de Paris et la rue Jules Ferry est dévasté... une bombe a heurté le clocher de l'église Saint-Aubin, n'explose pas, mais éventre le cimetière... Les victimes sont nombreuses. Parmi elles, une famille entière qui avait fui Mantes-la-Ville pour se réfugier à Limay. Les sœurs Chisko(1) devront attendre le 16 janvier 1947, jour de l'audience du tribunal civil de Mantes, pour que leur décès soit fixé au 30 juin 1944. 

Ce ne sera que le 12 août 1944 que les habitants de Limay aperçurent les premiers Allemands en retraite. Dans les jours qui vont suivre, le mouvement va s'amplifier... Les fuyards ne peuvent pas franchir la Seine, la tension monte... Sur la rive gauche, les Alliés approchent vite... 
Dans la matinée du 19 août, les Américains sont à Mantes... Leur artillerie, postée à Magnanville, tire sur le château des Célestins où les Allemands se sont repliés...
Dans la nuit du 19 au 20 août, une patrouille américaine franchit la Seine et s'installe sur la place du Pont-Neuf. Un soldat américain sera tué, accidentellement, le 20 août ; une plaque sera posée en son souvenir.
Dans la journée, le parc des Célestins est repris par les Américains, les tués allemands sont chiffrés à une trentaine.
Dans la soirée, de nombreux Américains, grâce à un pont de bateaux, franchissent la Seine. La contre-attaque allemande échouera, en l'espace de deux ou trois jours, une vingtaine d'avions allemands seront abattus dans la région.

Catherine Livet

(1) La famille Chisko est à retrouver dans le tome 2 de "Les Poilus de Limay" 

Le texte est sous la licence : Licence Creative Commons selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modificationl. Il reste la propriété exclusive de Catherine Livet dont le nom doit obligatoirement être mentionné.

Le tome 1 de "Les Poilus de Limay"
est disponible à la médiathèque de Limay et dans d'autres bibliothèques de la région.
Vous pouvez le commander chez votre libraire habituel.
Vous pouvez également  gratuitement avec votre abonnement Kindle.

Sources, biographie : Archives départementales des Yvelines. Histoire de Limay, des origines à nos jours, Edouard Fosse.  Les bombardements de l’agglomération mantaise pendant la Deuxième Guerre mondiale, par Gaston Marin.