Extrait du tome 1 de "Les Poilus de Limay"
Georges Bihoret :
À Limay, après la mobilisation générale, la vie s’organise. Il n’y a plus que Georges Louis pour aider Adrien et sa famille. Il est devenu un homme ; ses yeux marron et ses cheveux châtain foncé pourraient lui donner l’air sérieux s’il n’avait pas le nez busqué et des fossettes au menton. Le seul point positif de la situation est que les gars vont bientôt revenir, ils ne vont faire qu’une bouchée de ces Allemands. Georges est né en 1896, la guerre sera terminée lorsqu’il aura l’âge du service militaire…
Mais Georges et son père se trompent. Plus rien n’est comme avant et Georges est appelé avant ses 20 ans ; c’est ainsi que, le 12 avril 1915, il rejoint le 46ᵉ régiment d’infanterie d’où il passera, le 07 septembre 1916, au 415ᵉ.
Georges est empli de la fougue propre à sa jeunesse, il combat avec entrain… Il se distingue et est cité à l’ordre de la brigade le 31 octobre 1917 : « Jeune soldat d’un grand courage s’est toujours fait remarquer par sa belle attitude au feu et notamment le 1ᵉʳ octobre 1917 où lors d’une attaque allemande il se porta en avant avec le plus bel entrain. A participé aux affaires de Mont-Haut et de Verdun. » Georges est décoré de la Croix de guerre avec étoile de bronze.
Le 23 mars 1918, Georges et tous les hommes de son régiment sont embarqués en autos et conduits vers la Somme. À peine arrivés, ils sont mis à contribution. Il faut dire que la situation est tendue. Les hommes de la 133ᵉ division d’infanterie, aux côtés d’éléments britanniques, depuis de trop nombreux jours, disputent âprement le terrain à l’ennemi qui ne veut pas le lâcher. Une partie du 415ᵉ est chargée de reprendre le village de Plessier-Rozainvillers[1] pendant que le 1er bataillon arrête net l’ennemi qui poursuivait le 32e bataillon de chasseurs lors de son repli sur l’Avre. Puis, du 30 mars au 02 avril, le 415e régiment d’infanterie, retranché sur la rive gauche du fleuve, repousse chaque jour les attaques dont certaines sont très violentes.
Le 26 juillet 1918, Georges est blessé par balle à la main droite.
Ce n’est que fin octobre 1918 que Georges et ses compagnons peuvent se reposer pendant huit jours avant d’être rappelés sur le secteur du nord de Vouziers[2] avec pour mission de franchir le canal des Ardennes sur lequel l’ennemi s’accroche. La 163ᵉ division d’infanterie dont le 415ᵉ régiment d’infanterie est un élément, fait partie de la IVe armée – sous le commandement du général Gouraud – depuis le 29 octobre. Georges et ses compagnons vont avancer avec une telle détermination que partout sur leur passage, l’ennemi va lâcher le terrain… ils vont réaliser une magnifique avancée de douze kilomètres rien que dans la journée du 6 novembre. Malgré la résistance ennemie, la progression se poursuit les deux jours suivants et les hommes atteignent la Meuse, au nord de Dom-le-Mesnil, dans la soirée du 08 novembre. Ils regardent la Meuse qui gronde, enflée des eaux de pluie qui sont particulièrement importantes en ce froid automne ; plus un pont n’enjambe le fleuve qui semble infranchissable… et puis des bruits courent parmi les soldats épuisés… le mot armistice est de plus en plus souvent prononcé…
Pourtant, rien n’est décidé encore et les ordres sont formels, il faut rester en contact avec l’ennemi et passer la farouche rivière ; il faut marquer l’esprit de l’ennemi qui se pense à l’abri sur la rive opposée, le désorganiser et lui saper le moral pour qu’il n’hésite plus à signer l’armistice.
Dans le plus grand silence possible, dans la nuit du 09 au 10 novembre, Georges et tous les autres s’affairent. L’obscurité et le froid brouillard qui règne permettent de jeter aussi discrètement que possible des planches sur ce qui reste du barrage détruit pour improviser une passerelle. Le 415e passe ainsi, sur le point de franchissement qui lui a été assigné, tout entier mais malheureusement, il n’en est pas de même, un peu plus loin, pour le 142e régiment d’infanterie qui se retrouve bientôt incapable de progresser tout comme le régiment qui devait passer à un autre point.
Lorsque le brouillard se lève au milieu de la matinée, les Allemands ouvrent un feu permanent sur les différents points de franchissement qui avaient été préparés empêchant toute traversée aux deux régiments en retard mais aussi… rendant impossible un repli par le 415ᵉ dont les trois bataillons se trouvent alors face à un ennemi fort de cinq régiments armés de mitrailleuses lourdes et dotés d’une puissante artillerie qui entre en action avant que les tirs allemands de mitrailleuses se déchaînent contre le 415e qui doit se replier et trouver refuge devant la voie ferrée qui se trouve là… la situation est critique et une compagnie se retrouve réduite à une poignée d’hommes… L’enfer dure jusqu’à ce que, vers 18 heures, la nuit tombe apportant avec elle une certaine accalmie dont les désespérés survivants du 415e profitent pour se regrouper.
Le lendemain, 11 novembre, la 163ᵉ division d’infanterie doit absolument garder le contact avec l’ennemi et améliorer les points de franchissement et des renforts sont attendus mais rien ne se passe comme prévu et le ravitaillement est loin d’être optimum. La journée risque d’être particulièrement éprouvante pour le 415ᵉ qui se retrouve, une fois de plus, sous le feu nourri de l’ennemi… jusqu’au moment où, surpassant le vacarme infernal des armes, le clairon retentit, c’est l’armistice qui vient d’être sonné, nous sommes le 11 novembre 1918 et il est 11 heures !
Durant ces derniers jours de lutte, à la fin de cette ultime bataille de Vrigne-Meuse, 52 hommes du 415e régiment d’infanterie ont été tués et 93 blessés. Georges Louis Bihoret fait partie des survivants. Il sera cité à l’ordre du régiment : « Très bon agent de liaison. À toujours accompli avec courage les missions qui lui ont été confiées en donnant l’exemple à ses camarades du 02 au 11 novembre 1918. »
Le 415e régiment d’infanterie a été cité à l’ordre de la IVe armée le 04 août 1918 et a reçu le grand honneur de porter la fourragère aux couleurs de la Croix de guerre.
À Vrigne-Meuse, à la côte 249 au signal de l’Épine, un mémorial à la mémoire de la 163e division d’infanterie – d’où l’on peut voir le fleuve et la voie ferrée Sedan-Mézières où Georges et ses compagnons ont vécu l’ultime combat de la Grande Guerre – sera inauguré en avril 1929.
Lorsque Georges rentre chez lui, à Limay dans les Yvelines, sait-il qu’aucune nouvelle d’Albert n’est parvenue jusqu’à leurs parents ? Quelles sont les informations qui ont été communiquées à la famille ? Un avis du ministère du 12 novembre 1914 fixe la date du décès d’Albert Théodore Désiré Bihoret au 06 septembre 1914 mais il faudra attendre le 26 février 1920 pour que le tribunal de Mantes sur Seine[3] rende son jugement et qu’il fixe le décès au 05 septembre 1914 ; cette décision ne sera transcrite que le 08 mars 1920 sur les registres de la mairie de Limay. Il y a une petite erreur sur la date du décès qui est bien probablement le 06 septembre plutôt que le 05.
Le nom d’Albert, Mort pour la France, est gravé sur le monument aux Morts, inauguré le 16 octobre 1921, et sur la plaque commémorative de l’église Saint-Aubin ainsi que sur une tombe du cimetière de Limay.
Catherine Livet
[1] Le village recevra la Croix de Guerre en novembre 1920
[2] Dans les Ardennes
[3] Mantes-la-Jolie dans les Yvelines
Crédit photo : : Fonds des albums Valois, collection la Contemporaine – Meurthe-et-Moselle – Nancy. Hôpital. Blessure par balle allemande – Cote VAL 136/183 – Non datée – N° d’inventaire de la section photographique de l’armée 150367 – Source/Opérateur Cl. Bapst (Contretype 5854) – Licence ouverte/Open licence

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