mardi 27 mai 2025

Fusillés au Mont Valérien



Blaise Maurice Louis Marie Rigaud et Abel Louis Plisson se connaissent depuis l'enfance. Blaise habite Limay depuis sa naissance et la famille d'Abel est venue s'installer au village quelques années plus tard. Ils ont le même âge et ont été les élèves de l'école publique où ils ont reçu l'instruction de Monsieur Edouard Fosse(1), qui sera décoré de la médaille de la Résistance(2). Edouard Fosse était déjà titulaire de la Croix de guerre et avait été reçu chevalier de la Légion d'honneur en reconnaissance de son courage et de sa bravoure durant la Première Guerre mondiale. 
 
Le temps passe avec son lot de peines et de joies puis, les événements semblent se précipiter et le 1er septembre 1939, l'Allemagne envahit la Pologne, déclenchant la Seconde Guerre mondiale en Europe. Dès le 03 septembre, l'Angleterre puis la France, conformément aux alliances faites en mars dernier, prennent la défense de la Pologne. La France — l'Angleterre aussi — est en guerre !
Localement, des mesures sont prises, on rapatrie les enfants qui séjournaient en colonies de vacances, l'usage des sirènes est réservé en cas d'alerte et ne doivent plus retentir à l'entrée et à la sortie des usines, des conseils sont donnés en cas d'intoxication aux gaz, il est recommandé d'avoir des papiers d'identité lorsque l'on quitte son domicile...
La "Drôle de guerre"(3), hormis l'absence des mobilisés et quelques changements dans les habitudes, n'a pas de conséquences directes sur les habitants de Limay. 
L'arrivée des réfugiés, de Belgique et du nord de la France, dès le début du mois de mai 1940, commence à faire changer l'état d'esprit des habitants... L'invasion allemande de la Belgique et des Pays-Bas jette un nombre considérable de familles sur les routes...
Le gouvernement invite les communes à organiser des gardes. À Limay, le commandant, à la retraite, Blaise Désiré Jouaneton(4), prend les choses en main... Il faut dire qu'il possède toutes les qualités pour exercer cette mission. Monsieur Jouaneton est chevalier de la Légion d'honneur depuis 1926... il sera nommé Officier en 1943.
Cette fois, c'est certain, les Limayens prennent conscience que la guerre est à leur porte. 
 
Les jeunes gens nés entre le 1er octobre 1919 et le 31 décembre 1919 et ceux nés entre le 1er janvier 1920 et le 31 mars 1920 sont incorporés le 08 et le 09 juin 1940.
Blaise est né le 30 septembre 1921 et Abel le 11 juin 1921 ; ils sont donc trop jeunes pour être soldats.

C'est vers midi, le 03 juin 1940, que l'alerte est lancée et bientôt le vrombissement inquiétant des bombardiers allemands se fait entendre... La population prend conscience du danger immédiat et se précipite pour se mettre à l'abri. C'est Mantes, la ville voisine, installée sur la rive gauche, qui est bombardée ; le terrain d'aviation, la D.C.A.(5) et la station-magasin, situés à l'ouest de Mantes, sur le territoire de Gassicourt, sont particulièrement visés. Les blessés sont vite relevés et pris en charge par l'hôpital, mais certains succombent et viennent alourdir le bilan des morts de ce 03 juin.

L'ombre de la mort revient obscurcir le ciel de la région dès le 08 juin 1940... des bombes sont larguées sur les voies ferrées et la gare de Mantes, mais également sur le centre-ville, causant des victimes civiles. Les déplacements de population s'intensifient... D'ailleurs, il faut se dépêcher, car le génie français est chargé, pour retarder l'avancée de l'armée allemande, de faire sauter les ponts... Ce qui est fait dans l'après-midi du 09 juin... même le vieux pont se voit amputé de ses arches... Et puis, il faut évacuer Limay...

Le 22 juin, l'armistice est signé. Le 25, Pétain annonce aux Français les conditions de cette convention et les invitent à regagner leurs foyers : "Certains auront à les reconstruire. Vous avez souffert, vous souffrirez encore. Beaucoup ne retrouveront pas leur métier ou leur maison [...] N'espérez pas trop de l'État [...] Comptez, pour le présent, sur vous-mêmes [...] Nous avons à restaurer la France [...]".
Dès cette annonce, les habitants de Limay commencent à revenir chez eux. Des dégâts matériels sont constatés, notamment sur les vitraux de la petite église Saint-Aubin ; les magasins et des maisons ont été pillés, y compris le château des Célestins.
La vie reprend doucement, chacun faisant face aux difficultés et puis, le 10 juillet, les premiers soldats allemands sont aperçus... C'est le début de l'occupation, Limay va dorénavant vivre à l'heure allemande. 

Les anciens habitants du château des Moussets(6) semblent ne pas être revenus au village. Les Allemands y installent leur poste de commandement local et réquisitionnent les préaux des écoles pour y stocker leur matériel et abriter leurs chevaux et leurs véhicules. Plus tard, ils s'installeront également à la Roseraie.

La résistance se met en place. Dès 1941, des groupes se forment. Leur principale activité est le renseignement. Des jeunes de Limay, pleins d'énergie, se montrent plus actifs. Ils sont membres du groupe, "Jean-Marie"(7), qui est rattaché au réseau britannique "Buckmaster". Dans ce groupe, se trouvent Blaise Rigaud et Abel Plisson. Ont-ils été galvanisés par l'exemple de leur ancien instituteur ? Abel a-t-il voulu se montrer digne de son père, Émile Plisson, décoré de la croix de guerre avec palme et de la médaille militaire pour sa bravoure durant la Grande Guerre, où il avait été gravement blessé et fait prisonnier ?

Quoi qu'il en soit, ces deux jeunes hommes, avec leurs camarades du réseau "Jean-Marie", vont participer à quelques opérations de sabotage et réussir à réceptionner deux parachutages d'armes, c'est ce qui va causer la perte du groupe. Tout se joue en novembre 1943, lors du second parachutage. Malheureusement, le groupe "Jean-Marie" est infiltré par l'abwehr(8) Après la réception, les armes sont dispatchées dans la région parisienne, mais un transporteur est pris en filature. Arrêté et torturé par la Gestapo, le pauvre homme indique le lieu où avaient été cachées les armes après le parachutage. L'enquête est rondement menée et aboutit à l'arrestation de pratiquement tous les membres du réseau. Blaise et Abel sont arrêtés sur leur lieu de travail respectif le 19 novembre 1943. Blaise et Abel seront conduits à la prison de Fresnes, tenue par les Allemands. Présentés devant un tribunal militaire siégeant à Saint-Cloud, Ils sont, le 23 mars 1944, condamnés à mort pour activité de franc-tireur.

Nous voici arrivés à la date du 31 mars 1944. Le jour terrible, celui de l'horreur absolue !
Blaise Rigaud et Abel Plisson sont conduits dans la clairière du fort du Mont Valérien.
Face à leurs bourreaux, résistants jusqu'à la dernière seconde, ils font preuve de la plus grande des bravoures. Les fusils braqués sur eux crachent leurs balles de mort. Aucune échappatoire n'est possible, ils le savent, ils ont accepté depuis longtemps... Ils tombent.  C'est terminé, ils sont "Mort pour la France".

Cette mention "Mort pour la France" ne leur sera accordée que plus tard, et ils recevront, bien entendu à titre posthume, de prestigieuses décorations. Cela aura-t-il permis d'apaiser la douleur de leurs parents, de leur famille et de la fiancée de Blaise ?

Ils seront les derniers fusillés de Limay mais, malheureusement, il y a eu un précédent, en la personne de Adrien Roëlandt(10). Né en 1878, il était conseiller municipal de Limay. Maraîcher, il aimait la chasse et possédait des armes du dernier cri. Lorsque l'ordre fut donné à la population de déposer toutes les armes à la mairie, Adrien Roëlandt ne se sépara que des plus anciennes ou sans véritables valeurs à ses yeux, mais conserva les plus récentes... Il fut dénoncé... La perquisition menée chez lui à la fin du mois d'avril 1942 se solda par la saisie de trois fusils, d'une carabine, d'un important stock de munitions, etc. Arrêté le 1er mai 1942, il fut condamné à mort, pour détention d'armes, par le tribunal militaire allemand siégeant à Saint-Cloud. Il fut fusillé, au Mont-Valérien, le 11 juin 1942.
Les Limayens furent très émus par cette arrestation, mais ne purent rien faire pour le soustraire à son terrible destin.
La mention "Mort pour la France" lui a finalement été accordée par l'ONAC(9), en date du 07 novembre 2012.

Le nom de ces trois malheureux sont gravés pour l'éternité sur le Monument aux Morts de Limay ainsi que sur le monument national des fusillés du Mont-Valérien.

La sente des Champarts, où vivait la famille Plisson s'appelle désormais "rue Abel Plisson", c'est dans la rue au nom de son fils, que le père d'Abel est décédé le 14 mars 1947. le Maréchal Pétain laisse la place à la "rue Blaise Rigaud". La "rue Adrien Roëlandt" prolonge la rue de Paris.

Abel Plisson nous a laissé un extraordianaire et émouvant témoignage. Une broderie qu'il a réalisée lorsqu'il était interné à Fresnes. Cet ouvrage a été donné par sa famille à la ville de Limay qui semble en prendre grand soin. Restaurée et protégée, elle est exposée à la médiatèque municipale.

« Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance ne doit pas s'éteindre et ne s’éteindra pas »
Général de Gaulle, 18 juin 1940.

 Catherine Livet

 Le texte est sous la licence : Licence Creative Commons selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modificationl. Il reste la propriété exclusive de Catherine Livet dont le nom doit obligatoirement être mentionné.

"Les Poilus de Limay"
est disponible à la médiathèque de Limay et dans d'autres bibliothèques de la région.
Vous pouvez le commander chez votre libraire habituel.
Le lire gratuitement avec votre abonnement Kindle.
Lire des extrait dans une publication de la mairie de Limay : "Au nom des nôtres"

Joindre Catherine Livet 

(1) Monsieur Edouard Fosse sera l'un des héros du tome 2 de "Les Poilus de Limay", par Catherine Livet, aux éditions Becklivet dans la collection "Destins d'ancêtres".
(2)
Décret du 24 mars 1946 paru au Journal Officiel du 17 mai 1946.
(3) La "Drôle de guerre" est la période de la Seconde Guerre mondiale qui s'étend du 03 septembre 1939 (déclaration de guerre par la France - et la Grande-Bretagne - à l'Allemagne) au 10 mai 1940 (invasion allemande de la Belgique, des Pays-Bas et de la France).
(4) Monsieur Blaise Désiré Jouaneton est à retrouver dans le tome 1 de "Les Poilus de Limay", par Catherine Livet, aux éditions Becklivet dans la collection "Destins d'ancêtres".
(5) D.C.A. : Défense Contre Avions, Aéronefs, défense aérienne.
(6) Le château des Moussets fut vendu par ses propriétaires, la famille Atthalin, en 1945 à l'ambassade de l'URSS ; depuis, le château des Moussets est connu, à Limay et ses environs, sous le nom de "Château des Russes".
(7) Le groupe "Jean-Marie" a été créé par Henri Frager. Il est probable que l'antenne du Mantois soit formée à l'été 1943.
(8) L'abwehr est le service du renseignement allemand. Il est probable que le groupe "Jean-Marie" a été infiltré dès le début du séjour (de novembre 1943 à février 1944) à Londres d'Henri Frager.
(9) ONAC : Office National des Anciens Combattants.
(10) Adrien Roëlandt est à retrouver dans le tome 1 de "Les Poilus de Limay"

Sources Bibliographie : Archives départementales des Yvelines. Musée de la Résistance. Journal Officiel de la République française. Site Mémoire des Hommes. Site et archives de Mont-Valérien. Archives départementales des Hauts-de-Seine.  Publications de l'Amicale des réseaux Buckmaster. Service historique de la Défense, Caen.


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