Laissons derrière nous les bords de Seine, traversons précautionneusement les grandes artères et faufilons-nous vite dans les rues anciennes qui nous parlent de l’histoire de Limay dans les Yvelines. Nos regards se portent sur les hauteurs de la ville ou domine une grande bâtisse carrée qui est
Photo de Louis de Faucigny |
nommée « château des Célestins »… N’est-il pas normal pour des moines portant un nom si évocateur de vouloir bâtir leur maison sur les hauteurs, au plus près de la voute céleste ? A dire vrai, d’autres raisons ont fait qu’il y a longtemps… très longtemps, une communauté religieuse s’est établie dans le village… Fermons les yeux, oublions ce château… concentrons-nous, tentons de nous souvenir de nos manuels scolaires… voilà, nous y sommes presque… des réminiscences d’histoire de France assaillent nos neurones… Les Valois, les Plantagenêts… la guerre de Cent ans… Charles V… le mythique chevalier Du Guesclin… Mais oui, nous y sommes totalement… en plein Moyen Age ! Et oui, il y avait des Anglais sur ce territoire dont nous parlons… Charles V dit « le Sage », est le premier fils de roi à porter le titre de Dauphin, il est le fils de Jean dit « le Bon » ; Charles II de Navarre qui sera appelé « le Mauvais » réclame, entre autres choses, le trône de France, il a de grandes possessions en Normandie, il s’allie pendant quelques années avec les Anglais dont le roi, Edouard III Plantagenêt, a aussi revendiqué le trône de France et c’est même, pour un temps, proclamé roi de France, ce dernier a pour fils Edouard qui restera dans l’histoire sous le nom de « Prince
noir » et qui infligera une cruelle défaite aux Français, en 1356, à la
bataille de Poitiers où il fait prisonnier le roi Jean le Bon. Le Dauphin de
France devient alors Régent du royaume puis Roi au décès de son père en 1364.
Charles de Navarre dit « le Mauvais », cousin du roi de France, et
les Anglais tiennent la Vallée de la Seine, les habitants de Limay se sont-ils
habitués à croiser ses étrangers qui ont investi la place de Mante et qui
occupent Limay, empêchant les bateaux de ravitailler la capitale qui crie
famine…. Les Parisiens grondent… il faut trouver une solution… Charles V
Bataille de Coquerel – mai 1364 – Chanson de Du Guesclin – Jean Cuvelier |
ville
de Mante et pour se faire, un stratagème que l’on attribue parfois au capitaine
Guillaume de Launoy est élaboré. Une trentaine de soldats triés sur le volet
s’infiltrent dans Mante sous des prétextes divers et prennent bien soin, pour ne pas attirer l’attention, de
faire croire qu’ils ne se connaissent pas. Une vingtaine de soldats revêtent des
habits de vignerons sous lesquels ils cachent les meilleures armes qu’il soit
possible d’avoir alors. Ils se présentent à la porte par petits groupes et
demandent à travailler aux vignes pour gagner leur journée… Cette demande fort
courante dans cette région couverte de treilles est reçue sans soulever un seul
soupçon et la petite porte leur est ouverte… Promptement, ils s’emparent d’une
charrette qui sortait de la ville et la jette en travers du pont pour empêcher
la fermeture de la porte et aux cris de « Launoy !
Launoy ! » ameutent les hommes de Du Guesclin, tant ceux déjà en
place que ceux qui attendent leur heure tapis dans les environs… Furieusement, comme un seul homme, ils se
jettent alors dans la place… et comme les habitants sont encore pratiquement
tous profondément endormis, la défense est médiocre et, pour tenter d’échapper
aux Français, la population n’a que la solution de se réfugier dans l’église…
Mante est prise et Meulan le sera dans quelques jours…
Cette
prise de Mante n’est pas racontée de la même façon par Jean Froissart, pourtant
chroniqueur célèbre du 14e siècle, qui parle aussi d’une ruse mais dit
que le Maréchal Boucicaut, à cheval et en armes et accompagné de ses hommes,
aurait demandé l’ouverture des portes en prétendant être sauvagement poursuivi…
Laissons
là ces querelles et profitons du calme revenu à Limay car la paix ne va pas
durer et les Anglais reviendront, dans quelques temps, arpenter le village…
En attendant, regardons encore les
hauteurs sur lesquelles se trouve notre château des Célestins… Avant qu’il ne soit
construit il y avait déjà quelques habitants qui vivaient dans une saine
solitude près de la source
vitale qui s’appelle la Carrelée qui alimenta Mante
incapable, repliée derrière ses murs, d’être autonome pour ses besoins
primordiaux. Cette présence humaine est
attestée dès l’an 1363 et confortée en 1367 par l’érection d’une chapelle en l’honneur
de Sainte-Christine. Charles V, désireux d’installer des moines Célestins dans
la région, en acquit les droits ainsi que ceux sur ses dépendances ; Il
dédie le monastère à la Sainte Trinité qui est dès lors symbolisée par trois
fleurs de lys indissociables.
Lettrine de la charte de la fondation du monastère des
Célestins de Limay
|
La
charte qui régit la fondation du monastère des Célestins à Limay revêt une
importance particulière puisqu’elle précise l’emploi des trois fleurs de lys qui
deviendront le symbole officiel du royaume de France… Cette charte est expédiée
en février 1376 et est cachetée du sceau ancien ; l’enregistrement de
cette charte est authentifiée par un sceau à trois fleurs de lys mais il faut garder
à l’esprit que Charles V utilisait déjà un sceau ordonné à trois fleurs de lys dès
1375 comme il est attesté par une charte datée du 07 décembre de cette année.
A
Limay, nous devons donc un troisième élément de notre écu à Charles V ou aux
Célestins, comme il plaira à chacun… et même un quatrième puisque soutenant l’écu
se trouve une croix pattée sur laquelle s’enlace la lettre S. Si l’on voit bien
la référence directe au monastère des Célestins avec l’utilisation de la croix
pattée, le S reste un peu mystérieux et bien compliqué car il représenterait l’initiale
de la ville de Sulmona qui se trouve dans les Abruzzes, en Italie, berceau de l’ordre
des Célestins où Pierre de Morrone, futur éphémère pape Célestin V, a fondé l’abbaye
du Saint-Esprit… Si l’on retrouve la croix pattée sur l’écu de Porcheville, en
référence aux possessions porchevilloises de nos Célestins, on ne retrouve nulle
part ce S.
Charles
V dit le Sage se serait-il arrêté à Limay juste pour nous offrir un monastère
richement doté et un bouquet de lys ?
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